Miami Vice - Deux critiques.
- Miami Vice -
Michael Mann : réalisateur, scénariste, producteur, Pieter Jan Brugge : producteur, Anthony Yarkovich : producteur exécutif, créateur de la série, Dion Beebe : directeur de la photographie, Victor Kempster : chef décorateur, Paul Rubell : chef monteur, Janty Yates : chef costumière, Michael Kaplan : chef costumier
John Murphy : compositeur, William Goldenberg : monteur, R. Bruce Steinheimer : responsable des effets spéciaux et de l'animation, Distributeur : UIP
Isaach De Bankolé : Neptune, Ciaran Hinds : Agent Fujima, Barry Shabaka Henley : Le lieutenant Castillo, Elizabeth Rodriguez : Gina, John Ortiz : José Yero
financière du cartel, Isabella, une sinocubaine aussi experte en investissements et transferts de fonds qu'en blanchiment d'argent.
Faute de temps, et étant pleinement d'accord avec leurs avis respectifs, je publie ci-desssous les articles écrits par Guillaume Meral et Daniel Sebaihia, intervenants bien connus du site Mad movies. En les remerciant... :
En 1996 sortait Heat, immense polar épique, où Mann portait à son apogée ses obsessions et sa mise en scène impressionante de maitrise. Un sommet dans sa carrière, devenu une référence mondiale (voir 36, quai des orfèvres ou Infernal Affairs). Après un tel monument, qui constituerait l'oeuvre d'une vie chez certains autres cinéastes, il paraissait quasiment impossible d'évoluer, de proposer quelque chose de plus fort, de plus grand. A moins que...
1999, Révélations est une ENORME claque dans la gueule. Et Mann nous fait comprendre que, désormais, il n'a plus qu'une solution pour faire évoluer son cinéma : se mettre en danger permanent. Révélations relève d'une démarche contradictoire, quasi-suicidaire : déstabiliser le spectateur, perturber ses sens pour au final l'hypnotiser. Pour celà, il expérimente comme un malade dans tout les domaines et pousse l'abstraction jusqu'à un point jamais atteint jusque là. C'est une sorte de nouvelle carrière qui débute.
Avec un nouveau projet de mise en scène, faire ressentir au public ce que Rimbaud aurait qualifié de "dérèglement des sens".
10 ans après Heat, Miami Vice constitue donc un nouveau sommet dans la carrière de Mann. Autant le dire tout de suite : c'est à la projection d'un monument sur pelllicule que l'on assiste durant la séance. Un film qui propose une véritable évolution de la forme cinématographique, et en cela, l'un des films les plus importants de la décénie. Et aussi l'un des moins accessibles. Car Mann, atteint d'une sorte de rage créative tout simplement stupéfiante, pousse dans ses derniers retranchements non seulement ses expérimentations formelles (j'en parlerai plus bas) mais amorce également un renouveau narratif aussi destabilisant que sa réalisation.
Ainsi, alors que l'on pensait avoir droit à un nouveau Heat, à une nouvelle fresque sur la vie des flics et des gangsters, à l'intrigue aussi complexe, Mann prend une toute autre direction : il prend le risque d'associer l'un des pitchs les plus banal de l'année à un synopsis vu 150000 fois. Une prise de risque totale, qui lui permettra à la fois d'attirer un large public et... de le déstabiliser encore plus. Car si l'histoire en elle même est complètement bateau, le scénario, lui, est en béton armé.
Le fait de prendre le pitch le plus vu et revu dans le genre lui permet d'être carré et efficace, et de dire clairement que le film appartient bien au genre, avec ses règles, ses "limites" mais, Mann oblige, l'aspect hyper réaliste, documentaire de son métrage, ainsi que les expérimentations et innovations transcendent littéralement le genre.
A condition que l'on s'y laisse entrer sans resister.
Le côté peu accessible du film pour moitié dûe à ce scénario pourtant d'une maitrise rare. Ainsi, le synopsis banal rebutera directement le spectateur le plus exigeant, là où les expérimentations narratives laisseront le spectateur "lambda" sur le bord de la route. Dans les deux cas, l'ensemble leur paraitra froid et dénué d'humanité. Or l'humanité des personnages est bien présente, autant que dans les précédents films du cinéaste mais, et c'est là que Mann se met le plus en danger, elle n'est plus apportée par l'histoire en elle-même ou par les situations, qui font ici "clichés" sur le papier. Prenons Heat : l'humanité est en grande partie présente grâce aux situations et à la façon dont les personnages y réagissent (Al Pacino qui console la mère de la victime par exemple), plus grâce à des petites touches, des petits détails qui permettent de rendre ses personnages "vrais". Dans Miami Vice, Mann supprime le premier élément pour pousser le deuxième aussi loin qu'il le peut, faisant de son film le plus intense de sa carrière. Les larmes d'Isabella pendant l'amour, Sonny regardant au loin vers l'océan, la scène d'amour entre Ricardo et sa copine, etc. Le film regorge de petits détails comme ça qui humanisent au maximum les personnages. Cette façon de peindre les protagonistes, leur passé, leur personnalité, juste par petites touches subtiles qui créent un ensemble cohérent, vivant, c'est ce que j'appellerais de l'impressionnisme cinématographique. Et Mann le pousse aussi loin qu'il le peut, offrant à son film une sensibilité inédite, bouleversante, mais évidemment exigeante. Ce parti-pris de faire primer l'histoire sur les personnages, comme l'explique très bien Guillaume Meral, là où c'était les personnages qui faisaient l'histoire dans ses précédents films, à au moins trois justifications :
1. (Comme je viens de le dire) créer une nouvelle forme narrative impressioniste.
2. Coller à la personnalité des personnages, qui décendent proggressivement vers une sorte d'enfer sans rien contrôler, s'en même essayer de prendre le contrôle. Il n'y a pas d'illusions, il n'ont aucun contrôle sur le milieu, ils ne peuvent que survivre ou mourrir.
3. Permettre d'appliquer le concept de la réalisation à la narration : le scénario participe maintenant activement à l'immersion du spectateur.
Par exemple, le metteur en scène reprend l'une des expérimentations de Collatéral, l'absence de générique, et pousse le concept encore plus loin en supprimant l'introduction. Parti-pris destabillisant qui immerge directement le spectateur dans le film. On ne sait rien des personnages, Mann nous les révèlera dans toute leur vérité grâce à son écriture subtile, forte et maitrisée.
De plus, cette absence de commencement, de fin et d'évolution des personnages (le plan final nous le montre bien : c'est le quotidien, ici, qui nous est montré), donne une ampleur suplémentaire à l'aspect réaliste et documentaire de la forme, aspect crucial à l'immersion du public.
Miami Vice, d'un point de vue narratif, ammorce un tournant dans la carrière du plus grand réalisteur du monde. Et la révolution tant attendue depuis Révélations ne pouvait au final qu'avoir lieu dans ce cadre narratif.
Et révolution il y a.
D'un point de vue formel, le film représente l'aboutissement du projet de mise en scène sensitive et immersive initiée il y a 7 ans de celà. Mann nous avait déjà balancé une droite avec Collatéral, il y a 2 ans. Pourtant, le film, aussi génial et immersif soit-il n'atteignait véritablement qu'à deux reprises l'abstraction vers laquelle tend toute la carrière de Mann : le passage, inoubliable, où la personnalité de Vincent nous est révélée sous sa forme la plus brute, celle d'un coyote traversant la route, et la fusillade dans la boite de nuit, veritable chaos ou Mann poussait très très loin sa réalisation.
Maimi Vice débute par une scène assez similaire, se déroulant également dans une boite de nuit, et au moins aussi puissante que cette fusillade. Une manière de nous faire comprendre que la logique de mise en scène dévellopée dans cette scène va s'appliquer désormais au film dans son intégralité ? En fait, on se trompe. Mann va encore bien plus loin. Toute la "non-introduction", jusqu'au suicide de l'indic, est faite pour altérer les sens des spectateurs : montage impressionant, bande son hallucinante, cadrages déstabilisants... Et ce n'est que le début. Le film se permet d'aller encore plus loin, en explosant totalement nos repères lors du suicide de l'indic. Quelques minutes auparavent, Mann nous aura balancer deux uppercut en pleine gueule : le mini affrontement ultra brutal dans la scène de la boite de nuit, et la fusillade fulgurante, encore plus brutale, vue du siège arrière de la voiture. Tout ça pour, en quelque sort nous habituer à son style, sans nous préparer à ce qui va suivre. Ainsi, lors de cette scène, un homme se fait écraser par un camion, dans le silence le plus total, en seulement trois plans, totalement suggestifs. Une scène presque planante qui contraste violemment avec ce à quoi Mann avait commencer à nous habituer.
Ici commence alors LE trip : planant et viscéral, abstrait et documentaire, furieux et contemplatif. Totalement paradoxal. Ici le film franchit le point de non-retour. La majorité des spectateurs restera sur le bord de la route, les autres seront embarqués dans le film viscéral ultime.
Emportés par cette tentative furieuse et deséspérée de survie. Car il faut bien parler de survie quand on parle de Miami Vice tant ses expérimentations et sa sensibilité novatrice auraient pû (et auraient logiquement dû) lui être fatales. Un équilibre, un dosage aussi parfait, qui parvient à atteindre de tels sommets cinématographiques, une telle perfection, tout en étant à deux doigts de la nulité, je n'en avais pas vu depuis le Phantom of the Paradise, de De Palma. Miami Vice est un film malade de ses obsessions, de son envie de perfection. Ce qui pourrait, et le fera pour certains, tuer le film, c'est aussi ce qui en fait un chef-d'oeuvre absolu. Le simple fait que le film soit devant nous, brûlant d'une rage, d'une vie extrêmement rare au cinéma, est en soi un miracle.
A partir du moment ou l'indic se suicide sous les roues du camion, le film, dans un élan désespéré, entame une course contre sa propre mort, sa destruction par lui-même.
Le point de non retour est franchi. Place à l'abstraction.
Ce qui empêchait Collateral d'atteindre cette forme d'abstraction totale, brute, furieuse, hallucinatoire, c'était ce qui en faisait également un film parfait en son genre : son suspense. Un suspense quasi-hitchcockien (voir la derniere demi-heure, son uttilisation du montage et de la musique) qui maintenait en éveil les sens du spectateur.
Dans Miami Vice, Mann supprime toute trace de suspense, et le remplace par la tension. Quand la copine de Riccardo est enlevée, on n'a pas peur pour elle, on attend, tendus, le moments où elle va mourir, on souffre avec elle, on souffre avec Ricardo et on sait pertinemment, comme lui, que tout va mal se terminer. Et Mann ne rajoute pas de suspense, nous laisse dans cet etat.
Pendant tout le film, à aucun moment on n'a peur pour nos deux héros. Eux-même n'ont pas peur. Il ne subsiste que cette sensation de vertige tragique et déséspérée. L'impression indicible, furieuse et pourtant paradoxalement calme que l'on descend droit vers l'enfer, sans rien pouvoir contrôler. Sans même le besoin de contrôler. Plus de suspens, juste le chaos.
Et un chaos comme on avait pas vu depuis au moins Time and Tide (2001 - Tsui Hark). Le suspens supprimé, l'abstraction créée par la mise en scène de Mann fait atteindre au public un etat de quasi-sommeil, à la limite du métaphysique, qui décuple par 1000 les sensations (et les émotions qu'elles provoquent chez le spectateur).
Zooms nerveux, décadrages violents, caméra portée tremblotente, etc. Miami Vice est le film sensitif ultime, jusque dans le moindre de ses cadrages : tellement complexes, travaillés, qu'il paraissent pris sur le vif, brutes, tout en faisant ressentir une infinités de sensations.
Mais ces cadrages représentent surtout l'uttilisation de la HD la plus parfaite à ce jour. Collatéral s'en servait pour faire de L.A. le personnage principal du film, filmant la ville de nuit d'une manière contemplative, presque onirique. Un parti-pris qu'il aurait été impossible de dévellopper jusqu'à un tel point sans l'usage de la HD. Cette façon de personnifier la ville dévelopait un thème déjà présent dans Le dernier des Mohicans et Heat : le rapport trouble entre les protagonistes et leur environnement, à la fois protecteur et menaçant, et surtout révélateur de leur personnalité (voir la scène du coyote dont je parle plus haut). Mais si ce rapport ammenait le film à un certain point d'abstraction, ou tout au moins d'onirisme, il l'empêchait également d'aller aussi loin qu'il aurait pu (peut-être n'était-ce pas le but du film). Car la ville, désormais personnage principal, était tellement imposante, inquiétante parfois, qu'elle renforcait le suspense du métrage, empêchant le spectateur de s'abandonner totallement au film.
Dans Miami Vice, Mann prend le risque (encore un) d'abandonner en partie ce thème qui lui est cher. La définition de la HD, permettant de capter l'environnement, de nuit, jusque dans ses moindre détails, est en soi un élément abstractif pour le public. Et Mann utilise cet élément abstractif de manière elle même totalement abstractive. L'environnement, ici, n'est plus présent dans le cadre comme une force indépendante des personnages. Il est utilisé comme faisant partie intégrante du cadre, de telle façon, qu'il n'est plus là que pour renforcer encore plus les sensations que procure le cadre. Dans Miami Vice, tout est utilisé de manière sensitive, même l'environnement. Cette façon de représenter la ville (les villes) est une première chez le réalisateur, tout en représentant une étape logique. Et tout en étant parfaitement cohérent avec le reste du métrage (et avec l'oeuvre général de Mann, ces dernières années, puisque la représentation urbaine, sous toutes ses formes, semble être devenue son obsession - Sonador).
Car tout est fait pour faire passer le maximum de sensations possibles. La bande son alterne silences lourds, dialogues et sons à vous exploser les tympans. L'utillisation de la BO a un impact viscéral ahurissant. Enfin, le montage pousse l'abstraction à son point le plus élevé. En résulte donc un chaos totalement hallucinant mais également hallucinatoire. Un chaos qui explose à la gueule du spectateur dans une dernière demi-heure de fou furieux, entre une scène de "sauvetage" brute, tendue, insoutenable, des plans contemplatifs beaux à en pleurer, une fusillade finale totalement barge et des séquences plus "intimistes" tout simplement bouleversantes.
Malgrés toute l'admiration que j'ai envers Tonny Scott, Mann vient ici d'atteindre une forme hallucinatoire dont il n'atteindra sans doute jamais la puissance.
Malgrès tout le respect que j'ai pour Spielberg, sa guerre des mondes (et pourtant je vénère ce film)ne m'a pas fait ressentir le dixième de ce que je viens de ressentir grâce à Mann (seul point où je suis légèrement en désaccord : Spielberg ne fait pas le même cinéma et n'a pas les mêmes obsessions. Je ne les trouve pas comparable. Tony Scott, par contre, et notamment avec Man on Fire, peut lui être comparé, oui - Sonador).
Miami Vice est en quelque sorte la première drogue cinématographique : totalement hallucinatoire et addictive pour ceux qui ne résistent pas à son effet. Pour les autres, bad trip garanti, Miami Vice se transformant alors en Miami Vide. En attendant, Mann est le plus grand réalisateur en activité, et une nouvelle étape dans sa carrière vient d'être amorcée. Miami Vice en est la première pierre tout en étant l'aboutissement de tout un genre, de toute un projet de mise en scène, et au final, de tout un cinéma. Miami Vice est le film viscéral, sensitif et contemplatif ultime.
6/6
Daniel Sebaihia (Aka Jésus Gris)
Et le second article :
Malgré son incontestable réussite, qui se solda par un succès à la fois public et critique, Collateral n’était pas sans poser un problème à Michael Mann. Depuis au moins Révélations, Mann ne cesse d’expérimenter comme un furieux pour donner une nouvelle définition au point de vue cinématographique, et pour cela il n’hésite pas à aller toujours plus loin dans l’abstraction. En résulte le film-enquête le plus novateur visuellement de l’histoire du cinéma, l’immersion absolue dans l’une des plus éminentes personnalités du 20ème siècle, et enfin le premier polar à faire réellement du lieu typographique le personnage principal de l’histoire. C’est à la sortie de ce dernier qu’on pouvait se demander comment Mann aller pouvoir pousser plus loin l’abstraction. Car la grande réussite de Collateral fut bel et bien de faire de la Cité des Anges le personnage principal de l’histoire, à la fois lieu de mystère où s’entrechoquent les civilisations et révélateur des consciences (la séquence du coyote, tout simplement énorme). A un tel degré de jusqu’au-boutisme, on voyait difficilement comment Mann pouvait aller plus loin. Par conséquent, lorsqu’il annonça la mise en chantier de la série télé qu’il avait lui-même initiée, l’impatience devint aussi forte que la surprise : comment allait-il faire pour faire franchir un palier supplémentaire à sa mise en scène dans le cadre d'un énorme blockbuster estival ? Tout simplement en procédant au mariage le plus harmonieux qui soit : la fusion entre ses obsessions de metteur en scène et le genre qu’il investit, quitte pour cela à mettre ses points forts de côté.
Autant le dire tout de suite, on s’attendait à tout sauf à cela. Pour la première fois dans la carrière du réalisateur d’Ali, l’histoire prime complètement sur les personnages, au point que ceux-ci apparaissent comme les acteurs d’un gigantesque chaos filmé. En effet, Mann ne fait jamais interagir les personnages avec l’histoire, sinon pour être totalement intégrés au récit. Pour être plus clair, Mann a toujours mis en perspective ses protagonistes avec l’histoire, de manière à ce que leur actions aient au moins autant de répercussions scénaristiques que symboliques. Cette démarche avait sans doute atteint son paroxysme avec Ali, où le personnage, de par ses convictions et les décisions qui en découlaient, faisait littéralement l’histoire, et dans l’interaction la plus totale avec le spectateur. Rien de tout cela ici, où l’histoire file à 100 à l’heure, au point que l’on a parfois l’impression de regarder un long épisode de la série télé, et ce dès l’ouverture, sans générique ni présentation préalable des personnages. Cela signifierait-il que Mann l’intransigeant se serait fait abattre par les conditions chaotiques de tournage et les pressions des studios pour voir un film pop-corn, regardé et aussitôt jeté dans une période estivale propice ? Non, car en réalité, Mann sait très bien ce qu’il fait, et le résultat final n’est autre qu’une nouvelle étape de franchie dans sa mise en scène expérimentale.
L’étude de caractères a toujours été l’une des constantes de la filmographie de Mann. Rare sont les réalisateurs contemporains à dresser le portrait de personnages ambigus sans jamais les juger, toujours en interaction symbolique avec l’histoire par le biais de la mise en scène. Pourtant, Mann choisit de sacrifier ceci pour pousser l’abstraction encore plus loin (du moins en apparence). Mann n’étant pas du genre à faire du sur-place, il savait qu’il ne pourrait pousser plus loin l’expérimentation sans remettre en question ce qui faisait son cinéma depuis plus de 20 ans. Le résultat est fulgurant. Miami Vice est un film proprement hypnotique, un tourbillon d’émotions fortes. L’effet est d’autant plus percutant que la mise en scène de Mann, caméra HD et plans très travaillés à l’appui, achève de nous entraîner dans le monde parallèle qu’est celui du crime organisé. Il est évident après vision que Mann a choisit l’adaptation de cette série comme véhicule de ses expérimentations pour deux raisons, la première étant bien évidemment les possibilités infinies qu’offraient le sujet à sa mise en scène : par le biais de cette histoire d’infiltration, Mann pouvait faire plonger le spectateur en même temps que ses héros, le guider dans un monde qu’il ne soupçonnait pas. Pour autant, Mann ne se contente pas d’être réaliste (même si on sent toujours le souci de coller à la réalité, notamment avec les seconds rôles), il fait de ce monde un tourbillon de chaos où les émotions sont balayées (voir l’histoire d’amour impossible entre Farrell et Li) et la menace permanente. Ici, l’apnée dans un monde aux règles étrangères se substitue au point de vue. Miami Vice est un film sensoriel, une expérience unique comme les autres films de Mann, qui est en train de redéfinir complètement les codes de la réalisation. Un paroxysme d’émotion qui explosera lors de la fusillade finale, tout bonnement hallucinante de découpage et d’intensité dramatique.
Cependant, si Mann n’attache pas aux personnages la même importance qu’ils pouvaient avoir dans ses précédents films, cela ne veut pas dire qu’ils défilent dans le film comme des ombres fantomatiques. Au contraire c’est dans les moments où ils leur consacre du temps que son film explose. Tout le cinéma de Mann est fait de plans, de courts instants qui transcende la scène, le film, voir même le genre. Plus que tout autre, c’est dans ces moments que le génie de Mann explose à l’écran. Ici, le réalisateur se contente de quelques plans pour installer la psychologie des personnages qui valent à eux seuls tous les dialogues du mondes, aidé en cela d‘un casting solide (Fox en tête) et d’une direction d’acteur encore une fois imparable. Jamais dans son comportement Sonny Crockett ne trahit ses émotions, sauf au détour d’un plan magistral : alors qu’ils se rendent chez l’un de leurs indics pour que celui-ci les introduise auprès de Montoya, l’espace d’un instant Crockett regarde l’océan à travers la vitre, en quête de quelque chose, puis revient à la raison de sa présence. Tous le film est jalonné de ces plans sur les regards qui permettent aux personnages d’exploser sans plus d’explications : que ce soit le visage de Jamie Fox déformé par la colère après l'enlévement de sa femme, ou alors la réaction de Yero devant la danse amoureuse de Farell et Li. Dans ce film, les personnages ne transparaissent pas avec le dialogue mais avec le regard. Dans ces plans bouleversants d’intensité (qui m’ont même donné envie de chialer, le syndrome de Stendhal (Je pense que c'est plutôt celui de stockholm... - Sonador), que voulez-vous), Mann fait atteindre les sommets les plus haut à son film et à son art, où se croisent le cinéma vérité le plus bluffant ( l’impression d’assister à l’histoire en direct est pour le moins tenace) et l’abstraction totalement hypnotique.
L’autre raison pour laquelle Mann a du choisir d’adapter la série, c’est pour le cadre qu’elle offrait. Comme si'il avait besoin de justifier ses expérimentations par les contraintes d’une structure ultra-codifiée d’un blockbuster se devant d’être fédérateur. En réalité, Mann reste un grand cinéaste narratif et devait accepter de mélanger sa mise en scène unique à une structure bien définie pour ne pas tomber dans l’abstraction la plus totale. Ainsi, si voir le bonhomme à la tête d’une grosse production d’été pouvait surprendre, ça n’en demeure pas moins logique au vu du résultat final. Le fait est admis depuis longtemps : les plus grands films de genre sont ceux où le metteur en scène inculque son univers à la fois personnel et visuel dans l’histoire qu’il raconte, et plus largement dans le genre qu’il investit. Certes, c’est ce qu’a fait Mann pendant toute sa carrière, où il a notamment redéfinit les codes du polar (entre autres, bien évidemment). Mais ici, la gageure était double car non seulement il se devait d’avancer dans l’évolution de sa mise en scène expérimentale, mais en plus il devait l’insérer dans une grosse machine typiquement hollywoodienne. Le pari est doublement gagné, Mann réalisant un des films de genre les plus excitant des dix dernières années. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le film récent auquel Miami Vice ressemble le plus dans sa structure est Blade 2, autre claque dans la gueule dans lequel le récit prime sur les personnages, marqué qui plus est par la personnalité de son metteur en scène. Intelligent, racé et intègre, Miami Vice s’impose dès lors comme un idéal de cinéma de genre.
Au final, même si on connaît les multiples problèmes que connut Mann au montage, on l’imagine mal faire mieux. Tous juste faudrait-il quelques scènes supplémentaires pour aérer le récit, mais qu’importe : Mann vient encore une fois de prouver à la face du monde qu’il est le plus grand réalisateur en activité. Un artiste et un artisan, réfléchissant consciencieusement à la façon de faire évoluer son art. Le cinéma de Mann ne ressemble à aucun autre, car lui seul arrive à combiner de cette façon des cojonès énormes (il en fallait pour faire le film de cette façon) et une sensibilité artistique aussi éclatante. Il fait fî des mauvaises langues qui lui prédisaient une catastrophe, et réalise la claque de l’année. Encore une fois, Mann rime avec miracle.
6/6
Guillaume Meral (Aka MacLane)