Dune (Dossier) - Le(s) livre(s)
Dune (1965) est un roman SF, le premier de toute une lignée qui comprend "Dune Messiah" (1969), "Children of Dune" (1976), Emperor-god of Dune" (1981), "Heretics of Dune" 1984), et "Chapterhouse : Dune" (1985). A ceux-là, on peut aussi rapprocher ce qui semble être une préquelle officielle : "The God Makers" (Et l'homme créa Dieu" - 1972).
Tous les livres de cette saga-fleuve ont donc été écris par Franck Herbert (1920-1986).
L'auteur.
Enfant d'une famille de fermier, Franck Herbert, le futur auteur de "Dune", subira les affres de la crise de 1929. Sa vocation d'écrivain datera de son enfance. Marié à 21 ans, divorcé à 25, il gagnera d'abord sa vie en tant que photographe, caméraman et commentateur à la radio. C'est en 1945 qu'il rencontrera Beverly Ann Stuart, avec laquelle il aura trois enfants. L'un d'eux, Brian, a depuis repris le flambeau de la saga de son père.
Bien qu'il ait été publié sous son nom à partir de 1944, dans le magazine "Esquire", il s'avère qu'il eut commencé à écrire bien avant. Ayant utilisé plusieurs pseudonymes, il est aujourd'hui difficile de savoir à quelle date exactement il commença son travail d'auteur. Après avoir été édité dans des revues telles que "Astounding Science-Fiction" ou "Amazing Stories", il publiera son premier roman en 1956. La même année, il obtiendra le prix international de Science-Fiction. Il a alors 36 ans.
C'est en 1963 que sont posés les jalons du célèbre roman. Il publiera une nouvelle intitulée "Dune World" dans le journal "Analog Science fact-Science-Fiction". Le succès de la nouvelle sera tel que l'auteur décidera d'en faire un roman à part entière. Dune est publié deux ans plus tard. Le roman obtiendra le prix Nebula en 1965. L'année suivante, c'est le prix Hugo qui lui est décerné (ladite récompense pouvant considérée comme étant une sorte d'Oscar de la SF littéraire aux USA - pour en situer l'importance).
Dans les années soixante-dix, après avoir publié le "messie de Dune", Herbert prend de la distance avec son métier d'écrivain pour se consacrer à l'enseignement et à l'écologie (sa grande passion, comme le démontre la nature du roman "Dune"). En 1971, il mène une mission écologique et sociologique au Pakistan et au Vietnam. En 1972, il sera enseignant à l'université de Washington. Six ans plus tard, "La ruche d'Hellstrom" remportera le prix "Apollo". En 1980, l'univsersité de Seattle le consacrera "Docteur de l'Humanité".
Lorsque David Lynch le sollicite pour participer à la production de Dune, le film, le romancier répond présent. Enthousiasmé par le scenario et le traitement apposé, il en fera la publicité lors d'interviews télévisées.
Jamais une oeuvre de science-fiction n'avait jamais été si bien adaptée... Il faudra regarder de près pour découvrir ce qu'il manque, dira-t-il en substance.
Le film fut un échec commercial et la même année, Beverly décèdera d'un cancer. Bien que durement affecté par la mort de son épouse, Franck Herbert se remariera en 1985. Il décèdera à son tour, d'une embolie pulmonaire, le 11 février 1986, laissant ainsi son oeuvre inachevée.
Le roman.
Paru en 1965, en pleine guerre du Vietnam, le livre nous parle de dieux et de héros, de chutes et de décadences.
En l'année 10191 de la guilde, l'empereur Padishah Shaddam IV règne sur l'ensemble d'un empire de plusieurs millions de planètes. Sa famille, descendante des Butler, est en place à la tête de l'univers depuis le Jihad Butlerien et la bataille de Corrin, plus de dix mille années plus tôt. Successivement manipulateur et manipulé, le fils (et assassin) de son père, Elrood IX dirige tout depuis la planète Kaitan. La Terre n'est plus, détruite au début de la guerre contre les machines (le Jihad Butlerien). Si les Corrino dirigeait l'imperium depuis Salusa Secundus, bien des siècles plus tôt, c'est terminé : Salusa a été anéantie par les radiations d'une guerre nucléaire ancienne et sert désormais de camp d'entrainement pour les Sardaukars "les soldats de la peur" (Dune - David Lynch - 1984).
Shaddam est-il le maître absolu? Non. D'autres forces sont en jeux : la maison des Révérende-mère, école portée sur la politique et composée de femmes uniquement est le véritable pivot de tout pouvoir. C'est le Bene (= école) Gesserit.
Est-ce tout? Non plus. La Guilde de l'espace gère le déplacement entre les mondes. Pourvue du monopole sur le voyage dans l'espace, elle est aussi une seconde école, portée sur les mathématiques avant tout. Face à eux, l'empereur doit faire face aux autres grandes maisons, regroupé en un conseil : le "Landsraad". Ce composé de maisons majeurs et mineures contrôlent planètes et régions dans l'impérieum. Si l'empereur était président, les maisons en serait les préfets... Et l'on pourra aussi parler, par la suite (dans les romans ultérieurs à Dune), du Bene Tleilax, orienté sur les sciences génétiques (de manière très différente que pour le Bene Gesserit) et peuplé uniquement... d'hommes difformes, l'on poura aussi parler des planètes Ix et Richèse, deux mondes à part, dont l'activité est centré sur la haute technologie et la fabrication des machines (non intelligentes : les ordinateurs et les robots ayant été proscrit par la grande convention, faisant suite, encore une fois au Jihad Butlerien. La grand-mère de Paul, Dame Helena, sera issue de la famille régnante de Richèse), de l'école du Ginaz (formateur des meilleurs combattants de l'empire - d'où seront issus les deux meilleurs amis de Paul Atréides : Gurney Halleck, le soldat troubadour, et surtout Duncan Idaho, successivement maître d'armes de Paulus, Leto et Paul) ou de l'école Suk (des médecins conditionnés, dont le docteur Yueh, le traitre dans l'entourage de Leto, fera partie).
Tout cela constitue l'impérium, un mélange de factions opposées mais alliés de force par la grande convention. Un monde totalement bloqué depuis plus de dix millénaires.
C'est sans compter les rivalités, la politique et les secrets de famille. Et surtout c'est sans compter l'importance d'un autre facteur : l'Epice.
L'Epice : une drogue gériatrique. Provoque l'accoutumance mais accroit la longévité et l'intelligence. L'Epice, qui, pris régulièrement, à hautes doses, permet aux pilotes de la guilde de traverser l'univers grâce au don de prescience que leur confère la substance. L'Epice.
L'Epice qui n'est produit que sur un seul et unique monde : Dune. Arrakis. Une planète totalement désertique, sans la moindre goutte d'eau. Un monde géré par la Chom (Compagnie des HoberMarchants, dont les profits sont partagés entre les maisons et les Corrinos), et exploité par contrat, pendant des durées déterminées, par les grandes familles. L'Epice.
En 10191, c'est la famille Harkonnen qui en possède le contrôle. Le Baron Vladimir, le maitre de Geidi Prime, monstre, obèse et pervers gère chaque pouce de la planète des sables. Vladimir, qui a enlevé son neveu Feyd a son demi-frère, Abulurd, et à sa femme. Vladimir qui HAIT la maison des Atréides...
Les Atréides doivent reprendre la planète sur l'ordre de l'empereur. Leto, fils du vieux duc Paulus et de Dame Helena, flaire le piège : depuis quelques années, il est devenu trop influent au sein du Landsraad. Il est devenu plus populaire que l'empereur lui-même. Or, Leto, par sa mère, n'est autre que l'arrière-arrière petit-fils d'Elrood IX, et se trouve donc être le cousin de Shaddam IV.
Leto est dangereux.
Leto DOIT être éliminé.
Son inimitié notable avec Shaddam est la raison même qui fait qu'il n'aurait jamais dû recevoir en cadeau la gestion de Dune... Surtout après ses ennemis séculaires, les Harkonnens. Sa famille et celle du Baron sont ennemis depuis la bataille de Corrin : Le Bashar suprême Vorian Atréides a fait bannir, pour lâcheté, leur ancètre, Abulurd Harkonnen et toute sa famille sur le monde de Lankiveil. L'ironie du sort étant que les Harkonnens et les Atréides étaient autrefois deux familles amis. Double ironie, le père de Vorian, le Cymek Agamemnon, était le véritable monstre que Xavier Harkonnen et ses descendants combattaient avec courage, peu avant le jihad Butlerien... Il fut un temps ou la bannière des Atréides n'étaient pas si respectable, dixit Leto II dans "Emperor-god of Dune"...
Les Harkonnens veulent la mort de la famille Atreides. Et Leto, commandé par son devoir, obéissant envers l'empereur avec l'espoir de renverser la situation grâce aux fremens, quittera Caladan, et s'en ira sur Dune avec ses proches, son armée, sa femme, Jessica, et Paul, son fils.
Les Secrets de Dune.
Les Révérendes-mères Bene Gesserit, dotées de pouvoirs surhumains, manipulent le potentiel génétique de l'espèce humaine pour l'améliorer. Grâce à des techniques de croisements entre les famille et autres manipulations, elles cherchent à créer le Kwisatz Haderach, le "surêtre". Un homme capable de voir l'avenir et d'être "partout à la fois". Elles donneront l'ordre à Jessica d'engendrer une fille pour la marier à Feyd-Rautha Harkonnen, le neveu du Baron. Jessica n'obéira pas, et, par amour, donnera naissance à un garçon : Paul. Ce dernier se révélera-t-il malgré tout être l'élu?
Sur Dune, vivent les fremens, une population d'hommes et de femmes du déserts, farouches, guerriers et descendants d'esclaves zensuni et zenchiites enlevés pendant le Jihad Butlerien. Eux aussi possèdent leurs secrets : Sous l'impulsion de Pardot Kynes, planétologiste issu de Salusa Secundus mort avant l'histoire narrée dans le roman et père de Chani (future femme de Paul), ils transforment peu à peu Dune en jardin verdoyant. Mais il y a autre chose... Une légende circule, depuis des siècles et des siècles. Un messie doit venir des mondes extérieur. Un être supérieur qui les délivrera de l'enfer qui est le leur. Une légende en fait implantée sur de nombreuses planètes par les révérendes-mères pour assurer au Kwizatz Haderrach une retraite en cas de besoin.
Les évènements s'entrechoqueront. Leto, trahi par Yueh et Shaddam IV, sera renversé par des Sardaukars déguisé en soldats Harkonnens. Il se sacrifiera pour sauver ce qui reste de sa famille : Vladimir n'echappera que de justesse à la mort. Paul et Jessica devront fuir dans le désert, trouver les fremens et accomplir leur destinée finale : renverser l'empereur, se venger des assassins Harkonnens et instaurer une nouvelle monarchie qui allait durer pas moins de 3500 ans.
Mais il y a toujours un prix à payer.
Pour devenir un homme, pour devenir un empereur, pour devenir libre...
Il faudra aussi devenir un Dieu.
Mon avis.
Dune représente, tout comme les "Fondations" (Isaac Asimov) avant lui, LE roman-fleuve (quoiqu'assez court, pour un roman "fleuve") à l'origine de tout un genre de sf : les romans-univers. Si les volumes suivants traitent du même sujet, quoique de manière quelque peu différente (succèssivement essentiellement sous des angles politiques, poétiques, philosophiques, "historiques", ou - de nouveau - philosophiques dans le cas de la maison des mères), le premier livre, lui, est de prime abord un roman d'aventures.
Un roman d'aventures ? Est-ce tout ? Non. Dune est bien plus complexe. Certes, il montre un "Paul" particulièrement héroïque, un jeune homme qui se révèle comme étant l'être parfait : noble, puissant, le meilleur combattant de l'impérium, désinterressé, suprèmement intelligent (un mantat : un ordinateur humain) et dont le seul but, au-delà de la vengeance, est de préserver l'humanité du jihad à venir... Jihad dont sa seule présence parmi les fremens en est à l'origine. Pourtant Paul se révélera tout sauf manichéen. Si les personnages de Vladimir, de Shaddam, ou de Feyd sont bel et bien de natures intégralement belliqueuses, Paul montre une certaine ambiguité vis à vis du pouvoir qui lui est conféré : Tout en se battant pour éviter la croisade religieuse, il n'en reste pas moins que sous l'impulsion avouée de Jessica, il utilisera la ferveurs des fremens (mot évidemment dérivé de "free mens", les hommes libres, sous-entendus, du désert) pour arriver à ses fins : trouver sa vengeance contre ceux qui ont abattu sa maison et son père.
L'autre point qui se distingue dans le roman est la relation mère/fils et père/fils développée dans l'histoire. Le fait est que l'on peut y distinguer un fort complexe d'Oedipe entre les personnages. Or Dune est aussi un roman initiatique. Il narre le passage d'un adolescent (Paul a 15 ans, au début de la saga) à celui d'adulte. Nous avons ici un père assassiné et Paul devra prendre sa place et "tuer le père" pour trouver son indépendance vis à vis de Jessica - laquelle a une forte emprise sur sa psyché au début de l'ouvrage. S'il n'y a pas de relations explicite entre le fils et la mère - bien sûr - il est toutefois très notable qu'ils sont particulièrement proches. Le film "Dune" de Lynch installe d'autant plus cet ambiguité que l'actrice Francesca Annis, qui joue le rôle de Jessica face à Kyle Maclachlan (Maclaclan? Machelachlelan? Mac Lalanne? P...!) y est de toute splendeur et a l'air de tout ce qu'on veut tout sauf figure maternelle (Au pied, mes hormones! J'm'en vais vous fouetter, moi... bon, stop, je pête un câble, il est trois heures du mat'...)... Et le projet avorté de Jodorowski, semble-t-il, allait même plus loin dans ce sens...
Ce passage à l'âge adulte se fera aussi au travers du personnage de Chani et d'une relation romantique qui ne sera que très poussivement abordée dans le film de Lynch (j'y reviendrai dans un prochain article). La mère, vaincue, s'efface. Le père disparait. Paul, son extension, fait ses propres choix. L'autre élément notable de cette transformation est la classique mort symbolique que l'on retrouve dans d'autres oeuvres - tel par exemple "Star Wars" (qui doit beaucoup aussi bien à l'oeuvre que je cite ci-suit, à Dune ou à Fondation...), ou le "Seigneur des anneaux", etc... et même dans de nombreuses traditions ethniques (si l'on prend par exemple le baptème chrétien, sa signification originelle n'était rien d'autre qu'une mort suivie d'une renaissance dans le giron de Dieu, précisémment). Mort symbolique par la prise de "l'eau de vie" (tiens, tiens...) et accès à la majorité avec l'épreuve de la maitrise du ver des sables.
Le ver des sables... le dragon qui garde le trésor de Dune, l'Epice... Mais aussi utilisé ici comme un symbole, celui de l'inaccessible vérité, celui du passage à l'âge de la raison, aux responsabilités (il devra à terme choisir entre l'amour et son devoir). Paul doit vaincre ce dragon avant d'affronter ses dernières peurs : l'empereur lui-même et les Harkonnens, ses ennemis.
La religion... Si l'on peut noter que le mot "fremen" signifie homme libre, on ne pourra pas non plus passer à côté d'une autre ironie. Libres, les fremens le sont peut-être dans l'âme mais ils ne le sont pas dans leur foi. Et ils sont prisonniers de leur planète - à cause même de la richesse qui en fait l'unicité, à savoir l'Epice. Dune, leur monde, ne leur appartient pas et pourtant ils peuvent se mouvoir là ou d'autres ne peuvent pas. Sur un monde désertique évoquant immédiatement le rêve, la poésie, la liberté de l'esprit. Et pourtant, les "libres" fremens sont aussi des prisonniers de l'intérieur : ce sont des fanatiques, enfermés dans leur bulles... dans un cercle de croyances importées de l'extérieur, et entretenue par une Bene Gesserit exilée. A la fin, ils se révèleront comme un cancer, envahissant le moindre recoin de l'impérium, imposant à leur tour foi et violence. Les vaincus deviendront vainqueurs. Les hommes deviendront des saints. Quand ils seront des saints, ils deviendront des monstres.
Les hommes libres se feront dictateurs.
Une vielle histoire...
Le roman, formidablement écrit sur le fond, peut-être un peu faible pour ce qui est des descriptions de batailles (quoique très évocatrices), souvent excitant dans ses joutes verbales, philosophiques et politiques au travers de personnages forts et immédiatement identifiables, traite aussi du pouvoir et de sa nature dévastatrice. Paul - le personnage central - ne recherche pas le pouvoir. Il ne le prendra que parce qu'il l'estime nécessaire pour garder un semblant de contrôle sur le jihad à venir, lequel se révélera finalement inévitable. Mais les idéaux du héros seront d'autant plus mis à mal (perte de l'innocence - encore un aspect du roman initiatique) que ses choix extrêmes le rendront cyniques. Au bout du compte, le pouvoir finira par le perdre (Cf. Le messie de Dune). Paul, héros valeureux, proche d'un William Wallace ou d'un Robin des bois futuriste, ne contrôlera rien. C'est le pouvoir qui le contrôlera, faisant de lui un personnage shaekespearien, tragique, et finalement autodestructeur, autre aspect rarissime dans la sf des années 60.
Tout cela entre dans un contexte, celui d'une planète désertique (immuable - comme l'Empire - pendant des millénaires, puis changeante avec l'arrivée de Paul - comme l'Empire...), autour d'un sujet encore une fois original pour l'époque : l'écologie planétaire. Herbert utilisera le potentiel évocateur du désert pour le remplir de notre reflet, nos aspirations, nos responsabilités et nos vanités.
Le véritable trésor caché n'est pas l'épice. Ce n'est ni le pouvoir, ni la vengeance. C'est le désert lui-même. C'est l'âme humaine, le souffle épique et la liberté induite... ainsi que ses limitations, comme on le verra par la suite.